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Louise, 47 ans, fuit les objectifs comme la peste. «J’ai beaucoup de mal à me voir en photo. Ce n’est pas que je me trouve affreuse, mais il y a un décalage entre l’image que j’ai de moi et celle que je vois sur papier glacé ou sur écran. Et ce n’est jamais à l’avantage de la photographie! Je me trouve mieux en vrai.» Mieux en vrai, ou pas assez bien en photo? Car, pour la psychanalyste Virginie Megglé (auteure de «Le bonheur d’être responsable, vivre sans culpabiliser», Ed. Odile Jacob), ce refus d’être immortalisé est tout autant «le signe d’une liberté juste – pourquoi serions-nous contraints de donner une image figée de ce qui nous déplaît? – que l’expression d’une vulnérabilité».

J’ai peur d’être pris en défaut

«En arrêtant le mouvement, la photographie éteint la vie qui est en nous, constate la psychanalyste. Se voir ainsi figé est inquiétant, en particulier pour les personnes qui manquent d’indulgence envers elles-mêmes. Ainsi, elles ne verront que ce qui fait défaut.» La dissonance entre la perception qu’elles ont de leur image et celle des autres, souvent plus bienveillante, leur échappe également.

«Nul n’a d’appréhension objective du corps qu’il donne à voir, explique Elsa Godart, psychanalyste et philosophe. Le regard que l’on porte sur lui est intérieur et dépend d’une somme de vécus, de notre humeur du jour, etc. C’est cela qui l’emporte sur tout.»

Pour la romancière et essayiste américaine Susan Sontag  (auteure de «Devant la douleur des autres», Ed. Christina Bourgeois), «photographier un événement ou une personne, c’est en faire un objet que l’on peut symboliquement posséder». Virginie Megglé ne dément pas ce point de vue: «Donald Winnicott a expliqué que le premier miroir du bébé est le regard de la mère. Une mère rassurante sait que son enfant est destiné, à terme, à ne plus lui appartenir. On peut faire l’hypothèse que les personnes qui n’aiment pas être photographiées ont manqué d’un regard aimant, tendre, vivifiant, libérateur, porté sur elles et ont été l’objet de projections inconscientes mortifères qui emprisonnent.» Échapper à l’objectif revient alors à échapper à ces projections et à tenter d’exister en dehors du regard de l’autre.

J’ai du mal à trouver ma place

Si Louise ne s’aime pas en image, elle regrette tout de même de se retrouver absente des albums familiaux. «Refuser toute photographie équivaut effectivement à se mettre en retrait, voire à s’effacer volontairement de l’histoire, précise Virginie Megglé. Dans ce cas, il faut s’interroger sur le pourquoi de cette place que l’on a du mal à prendre. Est-ce parce que, enfant, elle ne nous a pas été accordée? Est-ce nous qui n’avons pas voulu la prendre? Ou a-t-elle été inconfortable?» Une énigme qu’il faut commencer par résoudre si l’on veut participer sereinement au jeu social qui consiste à photographier et à être photographié.

Que faire?

Acceptez-vous Dans l’idéal, il faudrait s’accepter avec nos défauts. Pour la psychanalyste et philosophe Elsa Godart, seul le temps permet d’effectuer ce «chemin vers plus d’indulgence envers soi-même». La psychanalyste Virginie Megglé souligne la nécessité de prendre conscience du fait que «la photographie n’est qu’un morceau de nous. Elle ne nous définit pas complètement.»

Reprenez le pouvoir «Quand être devant l’objectif est insupportable, pourquoi ne pas décider d’être celui qui prend les clichés? suggère Virginie Megglé. C’est une façon de s’affirmer.» Elsa Godart propose de goûter aux selfies. «On reprend ainsi le pouvoir sans pour autant échapper à son regard. Il suffit d’attendre le moment où notre image nous convient pour la fixer.»

Passez des pactes Si des proches veulent nous photographier, mettons-y certaines conditions. «On peut expliquer ce que l’on n’aime pas de soi, et demander à la personne d’en tenir compte», souligne Elsa Godart. De même qu’il est légitime, selon Virginie Megglé, de vouloir peser sur le devenir de l’image. On est libre d’accepter qu’elle soit mise dans un album personnel en refusant qu’elle soit publiée sur Facebook, surtout en mode «public».

Ma solution

Stéphanie, 42 ans, associée d’un cabinet de conseil: «Je n’ai jamais aimé être prise en photo. Obèse jusqu’à 18 ans, je m’imagine encore grosse, même avec trente-cinq kilos de moins. Comme mon associée et moi avions besoin de beaux portraits pour notre activité, elle m’a offert une séance professionnelle. Le photographe était prévenu de mon aversion et mon associée est restée à mes côtés. Cela a beaucoup contribué à me détendre. Sur une centaine de prises, il y en a une dizaine que je peux regarder en me disant: Tiens, cette fille n’est pas si mal.»

A lire

«Je selfie donc je suis» d’Elsa Godart. Que deviennent notre image, notre moi et nos relations à l’ère du selfie? La psychanalyste et philosophe y voit des révolutions, humaine, érotique, esthétique… (Albin Michel).

Rubrique réalisée en partenariat
avec «Psychologies Magazine»
dont le numéro 376
est disponible en kiosque.
A consulter aussi sur psychologies.com


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