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Parents: «Marre de faire tes devoirs!»

Femina 39 Dossier Devoirs 01

Les devoirs sont souvent synonymes de travail supplémentaire… pour les parents. Comment sortir de ce cercle vicieux?

© DR

Les devoirs, je n’en peux plus!», s’exclame Vanessa, mère de trois enfants âgés de 7 à 13 ans. Après une journée de travail déjà bien chargée, cette «working woman» ne se réjouit même plus de rentrer chez elle. Elle le sait, comme chaque soir de semaine en période scolaire, «ce sera encore la bringue» avec les devoirs des enfants.

Mais au fond, les devoirs scolaires sont-ils réellement du ressort des adultes? «Non, répond sans ambiguïté le pédiatre et thérapeute familial Nahum Frenck. C’est la responsabilité de l’enfant, pas des parents.» Pour le spécialiste, il n’y a pas à tergiverser: «C’est ainsi à tous les âges, insiste-t-il. Même à 6 ans, c’est à lui d’y penser.» Et si, justement, il oublie? «Ce sera aux parents de les lui rappeler, mais sans en faire plus.»

Voilà pour la théorie, mais en pratique les choses sont rarement aussi clairement définies. Bien plus souvent, le problème vient carrément modifier toute de la dynamique familiale. Sarah, mère de deux fillettes âgées de 7 et 10 ans, le confirme: «Les devoirs, c’est la grosse mission de la fin de la journée. Quand je récupère les filles chez leurs grands-parents, c’est toujours le grand stress pour réussir à faire les devoirs avant le souper, puis passer à la douche et au dodo.»

Le sens du devoir

Pas de répit, donc entre la fin de son travail et l’heure du coucher pour cette mère divorcée qui se dit exténuée. En gros, les devoirs lui «bouffent sa soirée». Les fillettes sont-elles si récalcitrantes? «Je n’ai rien à leur reprocher, elles se mettent facilement à la tâche. C’est juste que cela prend du temps. Même si elles n’ont à leur âge pas beaucoup à faire, elles sont deux!» Sarah n’ose même pas imaginer la suite, lorsque ses filles seront ados et auront vraiment une grosse charge de travail à effectuer à la maison…

Comme nombre d’entre nous, elle s’investit beaucoup. «Trop souvent, les parents prennent trop à cœur les devoirs de leur progéniture, ils s’en arrogent la responsabilité, note Nahum Frenck. Ils n’ont pas à s’asseoir à côté de leur enfant pour qu’il fasse ses tâches. L’élève doit travailler seul. Le père ou la mère doit se limiter à être disponible en cas de question ou de problème sur des points précis.»

Ce n’est pas franchement ce qui est appliqué dans la majorité des chaumières, le Dr Frenck le constate tous les jours en consultation. Il aime alors illustrer l’inversion du poids de la charge en prenant l’image d’une virée en tandem. «Très souvent, les parents sont assis à l’avant du vélo, et l’enfant se tient derrière, se laissant tirer et guider. Or, ça devrait être le contraire: l’enfant assis devant, avec les mains sur le guidon, et les parents derrière en train de donner des coups de pédale quand c’est nécessaire.» Toujours, à tous les âges, docteur? Affirmatif, le cadre initial reste identique, «même si plus l’enfant est petit, plus le parent sera sollicité». A défaut d’adopter cette ligne de conduite, on en arrive à ces aberrations, de plus en plus fréquentes, selon le pédiatre, où l’enfant rentre à la maison en annonçant: «Nous avons eu telle note pour le travail que nous avons fait!»

Les parents pécheraient donc plus souvent par excès de zèle que par négligence? «Sans aucune hésitation!, répond le spécialiste. Dans la grande majorité des cas, malheureusement, ils en font trop.» Malheureusement? «Oui, parce que, quelque part, on dépossède l’enfant de sa responsabilité.» Les leçons sont en effet aussi là, implicitement, pour exercer le sens du devoir. Une matière pas directement «scolaire», mais qui rentre bien dans le champ d’apprentissage plus vaste des écoliers. Quant à la correction des travaux réalisés à la maison, elle n’est pas non plus du ressort des géniteurs, mais de l’enseignant – leur qualité lui permettra d’ailleurs de juger des progrès de l’élève. Parents soulagés, alors?

Une ambiguïté persistante

Pas vraiment. Car au vu des témoignages recueillis, les adultes vivent cette mission comme une corvée supplémentaire dans leur déjà si dure journée. Bref, il y a comme un retentissant malentendu.

«C’est qu’il y a une vraie ambiguïté autour de leur rôle face aux devoirs», explique le chercheur Olivier Maulini, responsable du laboratoire de recherche Innovation-formation-éducation à l’Université de Genève. Pour ce spécialiste, si les parents sont si angoissés, c’est bien parce qu’ils «comprennent qu’ils ne devraient ni trop, ni pas assez s’intéresser à ce que fait leur enfant à l’école». Bonjour la double injonction!

Et ce n’est pas tout! «Les enseignants eux-mêmes peuvent interpréter ce rôle chacun à leur façon, poursuit-il. Certains préfèrent par exemple que les parents participent, d’autres qu’ils ne perturbent pas le travail spécifiquement didactique.» Une ambivalence «qui peut devenir difficile à vivre», légitime le chercheur, tant le rôle parental consiste alors à «tenir en équilibre sur cette corde raide».

Et quitte à tomber du fil, les adultes d’aujourd’hui choisissent le plus souvent de se pencher du côté du trop. Drôle de choix à l’heure où les rythmes de vie sont toujours plus effrénés, non? «C’est qu’ils survalorisent le parcours scolaire de leurs enfants», analyse Nahum Frenck. En partie en raison des craintes liées à l’insertion dans le monde professionnel, mais «surtout à cause de cette ère de la performance. Aujourd’hui, il faut performer! Il y a des parents qui expliquent à leurs mômes de 5 ou 6 ans le code génétique, ou les mettent dans des crèches bilingues pour apprendre l’anglais en même temps, voire avant, le français!»

Si l’enfant ne fait pas ses devoirs, qu’il s’arrange avec sa maîtresse. On le laisse assumer sa responsabilité . [Nahum Frenck, pédiatre et thérapeute familial]

Le thérapeute familial regrette que la relation pédagogique des adultes soit aujourd’hui survalorisée au détriment de la relation affective: «La première question que l’on pose à un enfant en âge scolaire, c’est: «Qu’as-tu fait à l’école?» au lieu de lui demander: «Comment vas-tu?» ou «Est-ce-que tu es heureux?» Une pression totalement contre-productive selon le pédiatre, qui cite en exemple les excès du Japon, où les suicides d’enfants à cause de la pression scolaire sont devenus extrêmement importants.

Soit, lâchons un peu de lest, et laissons l’écolier assumer. Mais s’il refuse tout net ne serait-ce que d’ouvrir un cahier, par exemple à l’adolescence? Beaucoup de tensions résultent aussi (et surtout!) du fait que certains chenapans se révèlent extrêmement réfractaires à l’idée de faire sagement et spontanément leurs leçons.

Détresse parentale

«Les devoirs sont une source énorme de conflits au sein des familles, confirme le pédiatre et thérapeute. Vous ne pouvez pas imaginer le nombre de parents qui sont malades à la rentrée! Ils se disent ça recommence, quelle horreur!»

«Ça a été la guerre pendant toute sa scolarité», raconte Maria, qui dit avoir vécu un vrai calvaire avec Hugo, son fils unique. «Dès qu’il rentrait, c’était la crise. On avait beau sévir, rien n’y faisait: Hugo ne touchait pas à ses devoirs. Il jurait qu’il n’en avait pas, ou s’arrangeait pour oublier ses affaires en classe!»

On fait quoi dans ces cas-là, docteur? «Si l’enfant ne fait pas ses devoirs, qu’il s’arrange avec sa maîtresse, rétorque Nahum Frenck. On le laisse assumer sa responsabilité.» Vraiment? N’est-ce pas l’envoyer droit dans le mur et risquer d’être condamné pour non-assistance à écolier en danger? Pour le pédiatre et thérapeute familial, tôt ou tard l’enseignant interpellera les parents, «et c’est à ce moment-là qu’il peut y avoir une vraie collaboration entre toutes les parties». Et puis parfois il suffit, recommande-t-il, de proposer au récalcitrant d’aller manger une glace au bord du lac et de lui dire qu’il fera ses devoirs plus tard, histoire de désamorcer l’engrenage: Vous sortez alors du: «Fais tes devoirs pour qu’on puisse souper, pour que tu puisses ensuite prendre ta douche et aller te coucher», illustre-t-il encore. On en revient à la fameuse relation affective à réinvestir, sans laquelle les conflits risquent de perdurer encore longtemps.


© Getty Images

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«Le vrai problème n’est pas de choisir entre laisser-faire et forcing, mais de comprendre d’où vient la panne, pour réguler ensuite au bon endroit plutôt qu’au mauvais», conseille à son tour Olivier Maulini. «C’est le b-a.-ba de la mécanique automobile, mais qu’on oublie parfois d’appliquer à la psychologie humaine.»

Que les proches se rassurent néanmoins: de toute façon, ils ne feront jamais juste! Olivier Maulini prévient: «Du point de vue d’un perfectionniste de la pédagogie, les parents ordinaires font toujours preuve de trop ou de pas assez de zèle.» C’est dit.

Et le spécialiste des sciences de l’éducation de pointer encore les inégalités que les devoirs accentuent en fonction des situations sociale et culturelle de la famille: «Tant que les règles sont implicites, elles profitent à ceux qui les devinent.» En clair, les géniteurs plus formés ou très proches des milieux scolaires, à commencer par les parents enseignants, se révèlent évidemment mieux armés face à toute cette complexe ambiguïté.

Témoignages

Mélanie, 37 ans, mère de deux enfants de 9 et 13 ans, Lausanne

Cette année, j’ai décidé d’inscrire mes enfants aux devoirs surveillés. C’est quand même plus pratique ainsi. Quand je les récupère, je n’ai plus à m’en inquiéter et je suis du coup plus disponible pour prendre du temps avec eux, partager un moment de détente ou de loisirs. En plus, je pense que c’est beaucoup plus efficace. Avant, cela prenait un temps fou: il fallait toujours que je les recadre, que je leur dise de se concentrer, d’arrêter de parler, de revenir s’asseoir à la table du salon.

Ils avaient toujours quelque chose à dire ou à faire de toute urgence et j’avais franchement l’impression que tout le temps jusqu’au souper y était consacré. Je suis sûre que mon fils ne râle pas autant qu’à la maison! C’était parfois très tendu avec lui, sans compter sa sœur qui crisait parce qu’il l’empêchait de se concentrer. Au début j’avais des scrupules à déléguer cette tâche, alors que je ne travaille pas les après-midi. Certes, nos fins de journée ensemble sont plus courtes, mais on en profite davantage.»

Valérie, 43 ans, enseignante, Martigny

Les parents doivent s’occuper des devoirs de leurs enfants. C’est une nécessité, ne serait-ce que pour leur apprendre à les faire. Ils ne doivent évidemment pas les réaliser à leur place, mais montrer à l’enfant comment s’y prendre, lui donner des méthodes, des pistes d’apprentissage. C’est primordial, cela montre aussi qu’on est là pour lui, qu’on se sent concerné par ses études et donc qu’elles sont importantes.

Aujourd’hui, il y a tout un débat au sujet du rôle des géniteurs dans les leçons à domicile. On voudrait qu’ils ne s’en occupent plus par souci d’égalité, pour que les enfants de parents peu formés soient soi-disant à égalité avec les universitaires. C’est une controverse inutile. On n’abolira pas l’inégalité des chances par la question des devoirs. Le rapport aux savoirs se joue plus largement dans la vie quotidienne des uns et des autres, dans la gestion des loisirs et le partage spontané des connaissances. Si un parent peut entourer son enfant, je ne vois pas pourquoi il faudrait s’en priver.


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