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Incels: quand le célibat des hommes devient arme mortelle contre les femmes

Homme célibataire en colère

Des célibataires en mal d'amour... et surtout de pouvoir.

© TomRoberts

Le 2 novembre 2018, Scott Beierle, ancien militaire de 40 ans, a abattu deux femmes dans un club de yoga de Tallahassee, en Floride. Il avait auparavant publié des vidéos sur YouTube, dans lesquelles il louait les Incels et confiait sa misogynie la plus crasse. Incels, vous dites? La contraction d‘Involuntary et de Celibates, pour célibataires involontaires, mouvement d’hommes radicalement antiféministes, accusant les femmes d’être responsables de leur misère sexuelle et affective. D’abord né en Amérique du Nord, le phénomène s’est internationalisé par le biais d’internet.

Une communauté connectée

Ils sont ainsi des dizaines de milliers dans le monde, utilisant des forums ou des sites spécialisés pour déverser leur fiel à l’encontre de ces femmes dont ils ont tant envie mais qui, selon eux, les ignorent. Sur Reddit, 4chan ou encore incels.me, ils tartinent sur leurs ressentiments, partageant même parfois leurs fantasmes de viol. Parmi leurs idoles, Larry Nassar, ce médecin de l’équipe nationale américaine de gymnastique artistique féminine, condamné pour avoir commis 265 agressions sexuelles.

«Il est en réalité difficile de parler de communauté car souvent ces hommes ne se connaissent pas dans la vraie vie, souligne Sébastien Chauvin, sociologue en études genre à l’Université de Lausanne. Toutefois, ils se reconnaissent néanmoins dans cette identité de victime, qui renverse le discours féministe. Le web canalise cette multiplicité des expériences en une seule idéologie.»

Qui peut se résumer à ça: lorsqu’on est un mâle, faire l’amour avec la jolie jeune femme de son choix devrait être un droit naturel et inaliénable. «Les Incels éprouvent de la colère contre les femmes parce qu’ils estiment être en droit de les posséder, commente l’anthropologue Agnès Giard. Qu’une femme se refuse les rend aigris et parfois même les conduit à des actes extrêmes, qu’ils appellent des vengeances

Une vision du monde propre

Si les Incels se lamentent beaucoup, ils ont également une représentation très fataliste de l’univers. Dans leur cosmogonie personnelle, la population humaine se distribue selon une hiérarchie précise. Tout en haut de l’écosystème sexuel et amoureux, on trouve ainsi les Chads, les beaux gosses extravertis qui multiplient les conquêtes, et les Stacys, les filles canon qui sortent avec eux.

Au pied de cet Olympe si enviable, ce sont les Chadlites, les mecs mignons, puis les Normies, les types normaux. Tout en bas de l’échelle de désirabilité, on croise alors les Incels, qui se décrivent eux-mêmes comme trop moches, trop handicapés, trop timides, trop intellos, ou tout à la fois, pour donner des papillons dans le ventre aux féminoïdes (les femmes, qu’ils rapprochent des humanoïdes pour souligner leur superficialité).

«Ce sont des ratés, selon leurs propres termes, observe Agnès Giard. Ils se définissent d’ailleurs comme des mâles bêta, expression synonyme de loser sexuel et sentimental. Le mâle bêta est le contraire du mâle alpha, ou bien il aspire à en devenir un, mais sans y parvenir. Il a la certitude d’être un laissé-pour-compte du système.»

Un antiféminisme atypique

C’est d’ailleurs là l’une des particularités de l’idéologie masculiniste des Incels. Ils abhorrent les féministes, qui seraient responsables de leurs maux, mais les rejoignent pourtant dans leur lecture de la société et des rapports de pouvoir, sans vraiment s’en apercevoir. «Les Incels, comme les féministes, font le constat d’une masculinité hégémonique, analyse Sébastien Chauvin Ils se disent victimes des femmes, mais aussi des hommes plus dominants qu’eux. La différence avec la pensée du féminisme étant qu’ils estiment avoir été déchus de leurs privilèges, allant autrefois de pair avec leur statut d’homme blanc.»

Pourquoi, au fait, les Incels sont-ils quasi toujours des mâles blancs hétéros de moins de 40 ans? «Pour avoir le sentiment de privilège bafoué, il faut avoir été élevé dans un milieu où les privilèges existent, fait remarquer Sébastien Chauvin, c’est-à-dire la classe moyenne et supérieure. Cette catégorie est moins touchée par la précarité permanente, les discriminations raciales, l’exclusion.»

Un profil psychosocial

Les Incels présentent en outre une configuration psychique particulière, selon Panteleimon Giannakopoulos, psychiatre aux HUG. «Ils sont certes parfois handicapés physiques, persuadés d’être laids, ou encore autistes, mais ils ont comme point commun la difficulté d’aller vers l’autre et de lui faire confiance. Et même si l’autre vient, ils croient que c’est uniquement pour leur soutirer de l’argent ou leur nuire. Ces individus sont atteints d’un handicap affectif majeur.» Ce terrain fragile se superpose à des sentiments sociétaux néoconservateurs devenus très forts aujourd’hui.

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«Trump ou Bolsonaro mobilisent en effet ceux qui se croient héritiers d’un âge d’or qui n’existe plus, rappelle le psychiatre. Ce phénomène politique conjugué à un profil psychopathologique fait de l’Incel un cocktail idéologique et psychologique à risque, avec de possibles passages à l’acte.» Certains, en effet, ont violé ou tué. «Leur paranoïa les amène parfois à vouloir anéantir l’autre avant que celui-ci ne les anéantisse.» Ce qui donne la furieuse impression que les Incels sont prisonniers de leur propre cercle vicieux.

«Saint elliot» et ses tristes disciples

23 mai 2014. Elliott Rodger, Américain de 22 ans, enregistre une vidéo dans laquelle il confie sa rancœur envers les femmes. Il envoie aussi un manifeste de 137 pages à des proches. «Toutes ces filles que j’ai tant désirées, elles m’ont toutes rejeté et regardé de haut comme si j’étais un sous-homme. […] Je massacrerai jusqu’à la dernière blonde gâtée pourrie et prétentieuse que je verrai.» Quelques heures plus tard, il assassine six personnes à Isla Vista, en Californie, puis se suicide.

Une tragédie aux yeux de la plupart des gens, mais un événement mythique pour certains Incels. Ceux-ci vouent depuis un culte à Saint Elliot, dépeignant le meurtrier sous les traits d’un saint médiéval tenant une bible ouverte (remplacée par son manifeste dans un photomontage). Alek Minassian, soupçonné d’avoir tué 10 personnes, à Toronto, en avril dernier, et Scott Beierle, le tireur de Tallahassee, se sont tous les deux réclamés de lui.

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